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Interview de Claudia Poulsen par Sybelia Morpho
Mars 2014
Inventer la marionnette du 21 ème Siècle

 

Tu manipules depuis 24 ans. Tu as commencé dans une compagnie de théâtre de marionnettes.

Quelles expériences en gardes- tu ?

 

Je n’ai jamais rêvé d’être marionnettiste. Je venais de finir une école de Jazz à Bordeaux parce que j’avais tourné avec un groupe de rock pendant 6 ans, je chantais d’une manière instinctive et je voulais approfondir la musique. En rentrant à Tours, je me suis inscrite au conservatoire Art Dramatique. Avant ça, j’avais travaillé dans une compagnie de théâtre avant-garde où j’avais dévoré la bibliothèque : Handke, Muller, ect ... Une compagnie de théâtre de marionnettes m’a engagée. J’ai commencé à construire des marionnettes puis ils m’ont proposé un solo qui a tourné 3 ans. L’approche de la marionnette se fait par transmission comme l’école japonaise. Un marionnettiste transmet à la fois sa philosophie et le droit de toucher aux marionnettes qu’il construit. Dans cette compagnie, nous manipulions à vue. J’ai pris conscience très tôt avec le théâtre et les concerts de rock de la présence sur scène. Du coup, avoir en plus une marionnette dans les mains demandait une autre indépendance, une autre concentration. Par exemple, pour un spectacle j’avais sept personnages à manipuler. Pour chacun j’avais cherché une attitude physique pour moi- même et pour la marionnette une voix et des attitudes différentes. C’est complètement schizophrénique comme travail d’indépendance et de conscience. J’ai adoré. Depuis, ce type de travail ne m’a pas lâché.

 

Comment définirais-tu La Marionnette ?
Et l’art de la manipulation ?

 

La marionnette est un outil d’expression très proche d’un instrument de musique. Un marionnettiste doit pouvoir s’adapter à tous les types de marionnettes. Ce qui est important c’est la manipulation. Tu dois regarder avant d’y toucher et imaginer le personnage, la voix, le rythme, sa manière de bouger, même de penser. Ensuite, tu la prends dans tes mains et ce sont tes mains qui gèrent. Puis, ton corps. C’est assez technique. Les mains vont appréhender la matière et transmettre à ton corps le poids et c’est ensuite un arrangement qui se fait avec une triangulaire. Vient l’instinct en quatrième couche. Tu fais des premiers jets et ensuite tu composes.

Manipuler...m’évoque....manipuler c’est créer, c’est faire des arrangements. C’est de la composition.

La marionnette fait partie des traditions ancestrales de divertissements et de transmissions. Elle a été un outil remplaçant à la fois la télévision d’aujourd’hui et un cadre de représentation sociétale. Les vecteurs d’expressions sont multiples avec la marionnette : le conte, l’actualité, la musique, le chant, le théâtre, la poésie, notre miroir, la fenêtre, le cadre, ect... tant dans l’échelle et la conception, elle reste sans limites. Il fut un temps sans internet où l’on faisait des petits spectacles pornographiques...

Il y a aussi tout un imaginaire populaire autour de la marionnette.
Les yeux des spectateurs brillent toujours...Un imaginaire littéraire autour d’elle. Comme Kleist qui a écrit
« sur le théâtre de marionnettes » ou encore Barthes qui écrit formidablement bien sur le Bunraku. Je crois qu’il écrit plus sur la manipulation d’ailleurs que sur la marionnette, comme Kleist...enfin, je crois....

 

Quelle place tient la marionnette dans ta vie et dans tes créations ?

 

Je n’ai pas la passion de la marionnette en tant qu’objet. Celles que j’ai chez moi sont pour travailler. Je n’ai pas la passion des marionnettes, et ne les construit pas. Souvent, je n’aime pas beaucoup les spectacles de marionnettes et la matière. Je les trouve trop concrètes...je perd l’intérêt très vite pour les poupées. J
Par contre, elle tient une grande place parce qu’elle a toujours été présente et centrale. Je travaille tous les jours pratiquement avec elles. Alain Duverne le créateur des Guignols de L’info dit des marionnettistes des guignols que nous ne sommes pas des marionnettistes mais des manipulateurs. Il a raison. Le marionnettiste est celui qui construit et manipule sa construction. C’est une autre démarche. Moi, je manipule.

Dans mes créations, la marionnette est toujours présente. Elle n’est cependant jamais centrale mais elle occupe une grande place.

 

Comment vois-tu la manipulation pour la télévision ?

 

La manipulation pour les guignols demande une grande technique.
Nous pratiquons presque tous les jours. La télévision m’a beaucoup apprise. La précision, la concentration, la rapidité d’exécution, le travail d’équipe, la mise en cercueil de l’égo, l’écoute. C’est avant tout une conscience de ce que cette énorme machine demande. Il n’y a pas que la marionnette et le personnage à prendre en compte. Il y a son corps, le corps de son partenaire mais aussi le cadre, la lumière, le sens du texte....c’est la meilleure école...

 

Tu as créé sextoys avec quelques marionnettes. Quelle place tenait ces marionnettes ?
 

Dans Sextoys, il y a 3 marionnettes. Toutes manipulées à vue. J’avais envie qu’elles soient différentes les unes-des-autres pour m’amuser avec trois types de manipulations. Je manipulais en chantant et j’avais écrit presque chaque mouvement de la marionnette et les miens plus les chansons. C’était un grand défi.

Mais, je me suis aussi beaucoup aussi amusée à manipuler l’environnement. J’ai écrit des morceaux à partir de rien. A partir d’un piano et d’une basse, parfois c’était un simple beat, j’ai créé avec Garage Band puis j’ai placé la voix avec des textes et j’ai créé des morceaux qui ont été ensuite mixés par Mikael Seminatore. Ce travail de studio m’a stupéfaite. A partir de sons ordinaires et mauvais, des machines peuvent donner et révéler une atmosphère qui était présente mais invisible. Les ingénieurs du son ont ce talent grâce à la technologie de manipuler des machines incroyables. J’ai manipulé aussi les sens des mots et l’envie des gens. C’était gonflé comme nom sextoys. Il a amené beaucoup de questions de la part du public et beaucoup d’attentes indicibles J La manipulation de la forme théâtrale n’a pas non plus été épargnée...le montage avec des performances, les musiciens en direct. Eve Risser est plutôt dans la musique improvisée et jazz. Elle manipule son piano grand concert avec des sextoys et pour moi c’était drôle de l’incorporer à cette équipe.

 

Qu’entends – tu par manipulation ?

 

La manipulation c’est l’arrangement avec son imagination.
J’aime de plus en plus ce mot. Il se répercute lui-même sur son sens... il peut faire peur. On loue aux êtres les plus dangereux l’art de la manipulation machiavélique par exemple. Transposée artistiquement, elle devient une vraie machine à produire.

La manipulation de marionnettes est un challenge physique incroyable. Bien sûr, il faut rester proche du sens s’il y a un texte mais c’est agréable de pousser les limites de la « composition ». C’est à dire...tiens là je mets tel geste à tel moment. Si c’est à vue ou avec un autre partenaire il y a des arrangements qui se mettent en place qui ne sont parfois pas évident. Le but et de réussir à les réaliser. C’est formidable.

C’est intéressant de voir un manipulateur lâcher sa marionnette et refaire les mouvements de sa manipulation seul. Le manipulateur à vue, devient un corps chorégraphie. On est très proche de la danse. On sent l’énergie, la composition corporelle et l’intention. S’il rajoute la voix, c’est merveilleux. J’ai bien peur que parfois la marionnette serve à se cacher derrière quelque chose. A la base c’est le marionnettiste qui construit sa marionnette qui la manipule. Ce n’est pas la même chose. Il y a quelque chose qui se jour à manipuler sa création. C’est ce que je fais avec l’environnement, je suis marionnettiste de mes créations. Je les manipule et j’incorpore au même titre que le son ou l’image des marionnettes que je manipule aussi.

 

Tu prépares un nouveau spectacle. Y aura t-il des marionnettes ? Quelle place tiendra la manipulation ?

 

Dans le prochain spectacle... J’ai très envie d’user toutes mes compétences...le travail physique que l’on peut appeler l’art du mouvement, les compositions musicales (comme sextoys) mais là, j’ai envie d’utiliser les sons de mon propre corps pour faire des boucles technos, et manipuler des images et du son avec des capteurs sensoriels. La manipulation prend un autre sens pour moi. La marionnette n’est plus forcément à l’heure actuelle un monsieur/dame avec une bouche ou un nez...ou un animal...on peut imaginer un endroit de la marionnette abstraite ou conceptuelle et développer cet endroit. C’est ce que j’ai envie de faire dans le futur. Penser la manipulation plus large ainsi que la marionnette. Comme je l’explique plus haut la matière de la marionnette est essentielle. J’ai envie de la voir désormais technologique. A l’heure actuelle, je sens qu’il est important de prendre au sérieux les nouvelles technologies. Nous vivons sans nous en rendre compte dans un environnement très avancé que nous n’exploitons pas assez. Nous devons améliorer les collaborations artistiques et scientifiques pour permettre au spectacle vivant de se développer. Les nouvelles technologies interagissent subtilement sur notre comportement. La manière de communiquer, de travailler et de penser. Dans la création artistique, en matière de sons, d’images, de gestion de l’espace elle permet de grandes possibilités.

Manipuler c'est créer un langage physique.
L’être humain (charge émotive, expressivité, intelligence) et le corps humain (articulations, pulses, fonctionnalités, capacités physiques, voix) sont un médium exceptionnel ... branchés aux des nouvelles technologies, je veux dire reliés, c’est tout un environnement artistique manipulable qui se dessine en une sorte de nouveau spectacle vivant. Capté, un manipulateur peut à la fois envoyer le son, la voix, l’image. L’énergie du corps qui manipule reste l’essence de l’interprète. Cela devient une vraie communion avec les ordinateurs et une grande liberté d’interprétation. On peut même imaginer qu’en jouant ce type de spectacles sur une certaine durée la maîtrise de la manipulation peut amener l’interprète à varier les subtilités de compositions et de sens. C’est la création d’un langage physique infini.

 

composer grâce à une chorégraphie un langage global.


L’interprète relié aux ordinateurs devient la marionnette du 21 ème Siècle où les ordinateurs deviennent la marionnette du 21 ème Siècle. La marionnette du 21 ème Siècle c’est cet environnement à la fois.

 

Te considères-tu comme une marionnettiste ?
 

Comme une manipulatrice. Un manipulateur est très adaptable du fait de sa formation. Il faut un sens de la musique (rythme), du chant (la voix), de la danse (l’art du mouvement), du théâtre (texte et scène). C’est un métier qui demande une discipline et une ouverture dans l’apprentissage.

 

Quelle est la marionnette idéale ?
 

La marionnette idéale est celle du 21 ème siècle. Je cherche une liberté d’expression.

Je cherche le non physique à travers ma pratique.
Je cherche de nouvelles matières.
L'objet marionnette est un instrument physique.
Des millions de personnes travaillent leur instrument de la même manière. Les mêmes contraintes physiques, la même technique de gammes. Chez certaines personnes, le focus va se faire sur l’instrument pour oublier leur expressivité. Le médium corps ne va jamais se développer. Le chant de l’interprétation c’est à dire la connaissance de soi-même par le contrôle de la technique permet d’offrir au public avec intelligence une pensée, une sensation, un sens. Très peu de gens peuvent dépasser l’instrument pour interpréter ce qu’ils sont pour autre chose. Mais essayer, c’est déjà mettre un pied dans un autre univers et se libérer. Bien sûr, enlever des contraintes c’est certainement en construire d’autres...Mais découvrir et créer ses propres contraintes c’est tout à fait différent.

 

L’originalité est-ce important pour toi ?
 

« Je n’y pense jamais »
Je la connais cette question. Bravo, tu as du voir L’Oscilloperturbographe.
Il n’y avait pas de marionnettes... Mais beaucoup de manipulations.
C’était un interview que j’avais lu : « conversation sur autre chose », Georges Brecht, Ben Vautier en 1965. C’était Ben Vautier qui posait la question à Georges Brecht. J’avais beaucoup aimé cette question est la réponse aussi.
Dans l’Oscilloperturbographe j’avais choisit cette question car elle me correspondait et j’y trouvais de l’humour. GB était d’ailleurs interprété par un marionnettiste.

 

Sur Sextoys, tu portes une perruque bleue, un short, un mini soutien gorge et tu manipules. Tu es loin du noir que le marionnettiste porte habituellement.....
 

La manipulation à vue est très importante pour moi. Le manipulateur aussi du coup. Il y a cette question que l’on m’avait posée sur Skyggen. Oui mais pourquoi on te voit ? Cette question poursuit beaucoup les manipulateurs à vue. Il est parfois difficile pour les spectateurs de bousculer les traditions. Et pour les manipulateurs de sortir des certitudes. C’est vrai que voir le manipulateur n’est peut-être pas évident pour le spectateur. Alors on cherche ensemble, on s’interroge, on écoute. Sur Sextoys, je crois avoir gagné.... 🤪 On ne ‘a jamais posé la question. Alors que j’avais entraîné mon corps et j’étais presque en maillot de bain. Mais le fait de pousser au bout l’idée que l’on est vue est plus juste que de vouloir se cacher qu’à moitié. Je crois que l’important c’est de faire les choses jusqu’au bout.
De plus en plus, je vois ce travail de manipulation à vue comme du transformisme et du corps dansé à la fois. La marionnette restant l’outil d’expression mais la charge que tu transmets est importante. L’important aussi reste qui manipule qui ... J’avais vu passer cette phrase et j’avais bien aimé...

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